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Au carrefour des droits européens : la dialectique de la reconnaissance mutuelle et de la protection des droits fondamentaux

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L’extension des mécanismes de reconnaissance et de confiance mutuelles sur lesquels s’appuie le processus d’intégration européenne soulève la question de leur conciliation avec le respect effectif des droits et libertés fondamentaux, tels que protégés par le système de la Convention européenne des droits de l’homme. Alors que les positions respectives de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme semblent potentiellement conflictuelles, notamment en matière migratoire ou pénale, l’article soutient que leur articulation harmonieuse est parfaitement envisageable, à condition de les concevoir comme des techniques également nécessaires d’organisation de l’espace pluri-démocratique européen.

Edouard DUBOUT est Professeur à l’Université Paris-Est Créteil et Directeur du Master Droit européen

articleIntroduction : Vers la constitution d’un espace transnational de protection des droits fondamentaux

L’intégration européenne consiste essentiellement à établir une forme particulière de relation entre États, distincte d’une relation internationale classique, que l’on peut désigner comme instituant un fédéralisme de nature horizontale. Cette relation particulière se forge principalement grâce à des rapports de « reconnaissance mutuelle », fondés sur l’acceptation d’une interdépendance à l’autre conçu comme étant aussi digne de respect que soi 1 Reconnaître cet autre comme soi-même revient à accepter de lier son destin au sien, c’est-à-dire à lui faire « confiance », avoir foi en lui. Tel est le sens premier du mot fides dont provient le terme foedus et l’idée de fédéralisme. Incarnant le type de relation spécifique que cherchent à établir entre eux les États membres de l’Union européenne, la reconnaissance mutuelle revêt une dimension proprement constitutionnelle. Néanmoins, la sincérité de ce rapport de reconnaissance et de confiance devient fortement contestée. Censée être fondée sur la confiance, l’imposition d’une reconnaissance mutuelle forcée la détruirait au contraire en profondeur, et seule la garantie d’une équivalence effective des standards de protection des droits fondamentaux pourrait espérer la rétablir. Voici qui expliquerait les revendications croissantes en faveur d’une soumission de la reconnaissance mutuelle à un meilleur respect des droits fondamentaux. Présentées comme potentiellement conflictuelles, reconnaissance mutuelle et protection des droits fondamentaux peuvent-elles être réconciliées ?

Des logiques apparemment conflictuelles

Le contexte de crise économique, politique et morale que traverse l’Union européenne menace de faire voler en éclat l’unité de façade de ses composantes, et expose au grand jour le caractère fragile, factice même diront les plus sceptiques, de la confiance qui est censée cimenter les relations entre des États membres à trop fortes disparités. Le moyen de refonder une reconnaissance mutuelle suffisamment légitime serait de s’assurer que, plutôt qu’être aveuglément accordée, la confiance entre États soit réellement méritée, c’est-à-dire faire paradoxalement preuve de méfiance, voire d’une certaine défiance, à l’égard des réglementations et décisions adoptées par les autres États. C’est tout naturellement que le fondement de cette suspicion est trouvé dans les normes supérieures fondatrices de tout système juridique et politique que sont les droits fondamentaux. La protection des droits fondamentaux constituerait non seulement une limite à la reconnaissance mutuelle, mais plus profondément sa condition même. Normativement, cela signifierait que le principe de reconnaissance mutuelle devrait être subordonné à celui de protection de droits fondamentaux qui en garantirait, en amont, l’existence.

Des auteurs ont ainsi alerté contre le risque d’imposer une « confiance aveugle » entre États qui mènerait l’espace européen « à se construire sur du sable » 2, et même vanté les « bienfaits » d’une « défiance mutuelle » entre juges nationaux 3 La restauration de la confiance nécessiterait de s’assurer que les États membres partagent réellement une certaine communauté de valeurs, ainsi que le prévoit l’article 2 TUE, seule capable de fonder un véritable projet commun de société. La garantie d’un respect équivalent des droits fondamentaux serait ainsi un pré-requis à la confiance qui elle-même justifierait la reconnaissance mutuelle. Il est vrai que l’article 67 TFUE qui consacre la reconnaissance mutuelle comme technique principale de réalisation de l’espace de Liberté, de Sécurité et de Justice (ci-après ELSJ) dans ses paragraphes 3 et 4 insiste dès son paragraphe 1er sur le fait que la constitution d’un tel espace s’effectue « dans le respect des droits fondamentaux ». C’est en ce sens qu’ont pu aussi s’exprimer certains Avocats généraux invitant la Cour de justice à considérer que ce respect est « un préalable qui rend légitime l’existence et le développement de cet espace » 4 et qu’il « imprègne » l’ensemble du droit dérivé de la reconnaissance mutuelle 5 Il est possible de systématiser cette invitation à subordonner la reconnaissance mutuelle au respect effectif des droits fondamentaux par l’émergence d’une forme horizontalisée d’exception so lange 6 Selon cette exception, un État membre de l’Union pourrait, et même devrait, ne pas reconnaître une réglementation ou une décision adoptée par un autre État membre aussi longtemps que cette reconnaissance risquerait de provoquer une violation des droits fondamentaux.

A n’en pas douter, le risque de conflit normatif entre reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux est exacerbé par un risque de conflit systémique européen, plaçant le juge national dans une position délicate. Telles que développées au niveau de la Convention européenne des droits de l’homme, les techniques de protection des droits fondamentaux semblent assez largement indifférentes à la reconnaissance mutuelle et à la spécificité des situations transnationales mettant en jeu les relations qu’entretiennent les États membres de l’Union entre eux. En incitant un État membre de l’Union à contrôler le standard de protection assuré par autre un État membre en matière d’asile dans ses arrêts M.S.S. puis Tarakhel, la Cour européenne des droits de l’homme ancre positivement cette exception horizontale au respect mécanique de la confiance mutuelle 7 En matière de compétence judiciaire civile également, la Cour européenne ne s’est pas arrêtée au dispositif européen de reconnaissance mutuelle privilégiant la compétence exclusive de la juridiction de l’État d’origine pour considérer qu’une décision ordonnant le retour d’un enfant était contraire à la Convention 8 Cette position priorisant les droits fondamentaux sur la reconnaissance et la confiance mutuelles explique en partie la réaction épidermique de la Cour de justice et le rejet de l’adhésion dans l’avis 2/13 qui consacre avec vigueur l’inhérence de la confiance mutuelle à la spécificité de la nature juridique même de l’Union européenne 9 .

La relation entre reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux ne paraît être envisagée qu’au travers d’un rapport conflictuel d’exclusion : les droits fondamentaux justifiant une exception à la reconnaissance mutuelle, ou inversement la reconnaissance mutuelle entraînant une exception aux droits fondamentaux. A terme, aucune solution satisfaisante ne semble pouvoir être trouvée, l’une des logiques devant l’emporter sur l’autre à l’issue d’une épreuve bien aléatoire. Or tant la reconnaissance mutuelle que les droits fondamentaux semblent également indispensables à la construction européenne : la reconnaissance mutuelle comme facteur d’unité et les droits fondamentaux comme vecteur de légitimité. Entre unité et légitimité faut-il nécessairement choisir ?

Des logiques potentiellement (ré)conciliables ?

L’objet de cette contribution est d’envisager des voies de conciliation, voire de fertilisation croisée, entre reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux, en suggérant que contrairement à l’idée reçue, ce serait plutôt à la protection des droits fondamentaux de mieux intégrer et exploiter la logique de reconnaissance mutuelle que l’inverse.

La relative tardiveté avec laquelle le conflit a été érigé entre reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux, invite à une réflexion plus poussée sur les ressorts de leur confrontation. A l’origine de sa consécration dans le droit du marché intérieur et le fameux arrêt Cassis de Dijon, aucune contradiction évidente ne semblait opposer cette technique d’intégration qu’est la reconnaissance mutuelle au respect des droits fondamentaux 10 Les analyses soulignent au contraire des perspectives intéressantes d’émulsion et de combinaison 11 Ainsi, par exemple, dans l’affaire Cinéthèque les requérants alléguaient que l’interdiction temporaire de vente de cassettes vidéos pourtant légalement commercialisées dans un autre État constituait à la fois une entrave à la libre circulation et à la reconnaissance mutuelle, et dans le même temps une atteinte au droit fondamental à la liberté d’expression 12 Ce n’est qu’avec la transposition de la reconnaissance mutuelle dans le champ de l’ELSJ, comme technique centrale de création d’un espace judiciaire, pénal, et migratoire, que la relation entre reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux a été présentée comme plus radicalement problématique 13 . L’explication à ce changement d’attitude pourrait sembler simple au regard de la nature différente des espaces en cause. Tandis que dans le marché intérieur ce sont avant tout des biens et des opérateurs économiques qui circulent sur le fondement d’intérêts individuels, dans l’ELSJ la circulation vise avant tout des décisions des autorités nationales qui sont prises au nom d’intérêts collectifs. Autrement dit, alors que le marché intérieur augmenterait la capacité des individus à faire valoir leurs droits, l’ELSJ augmenterait la capacité des États à défendre leurs intérêts sur un espace devenu global afin d’éviter que la liberté individuelle sur l’espace élargi n’empêche la défense des règles nationales 14 Le sens du recours aux droits fondamentaux s’en trouverait inversé dans les deux espaces. Alors que la reconnaissance mutuelle augmenterait la liberté individuelle dans le cadre du marché intérieur en permettant d’exporter un standard plus favorable, elle menacerait au contraire cette liberté dans celui de l’espace pénal et migratoire en imposant une décision plus défavorable 15

Cette tentation de scinder nettement la reconnaissance mutuelle sous l’angle de la liberté individuelle et du respect des droits fondamentaux selon qu’elle est appliquée dans le cadre du marché intérieur ou de l’ELSJ est néanmoins contestable. D’une part, la finalité du recours à la reconnaissance mutuelle comme méthode particulière d’intégration horizontale reste invariablement la même, celle de décloisonner les droits nationaux au profit d’une unité plus globale au moyen de principes, de techniques, et de raisonnements largement similaires destinés dans le même temps à préserver une certaine diversité politique et culturelle 16 . D’autre part, parce que la fonction de la reconnaissance mutuelle est plus subtile et réversible au sein de chacun des espaces à unifier. La rencontre des deux logiques se situe au point névralgique de la construction d’un ensemble pluri-démocratique (ou « demoi-cratique »), c’est-à-dire au moment de définir un équilibre entre la protection des intérêts individuels et la préservation de l’autonomie collective de l’État dans une situation transnationale. En pareille situation, l’équation entre autonomie privée et autonomie publique est rendue considérablement plus complexe par le fait que l’intérêt individuel n’est pas nécessairement en opposition avec l’intérêt collectif de l’État, comme c’est le cas dans la configuration classique de la protection des droits fondamentaux. En situation transnationale, l’intérêt individuel épouse un intérêt collectif étatique, que ce soit celui de son propre État dont le requérant souhaiterait préserver le standard de protection, ou que ce soit celui d’un autre État au standard de protection duquel il voudrait accéder. La question n’est plus d’évaluer un choix démocratique particulier au regard des droits fondamentaux, mais de concilier des choix démocratiques différents au travers de la protection d’un intérêt individuel placé en situation de pouvoir en préférer l’un des deux.

Dans le cadre d’un tel espace transnational et pluri-démocratique, il est envisageable de considérer la reconnaissance mutuelle et la protection des droits fondamentaux comme participant conjointement à la définition d’un équilibre complexe combinant autonomie individuelle du sujet de droit européen et autonomie collective de chacun des États membres de l’Union. A cette fin, on se demandera dans quelle mesure une intrication plus avancée des deux logiques, présentées généralement comme conflictuelles, permettrait d’améliorer la compréhension et la cohérence d’ensemble du fédéralisme horizontal propre à l’Union européenne. Tout d’abord, il sera montré dans un premier temps que conférer un ascendant de principe à la protection effective des droits fondamentaux sur la reconnaissance mutuelle s’avère le plus souvent superflu (I). Ensuite, on verra dans un deuxième temps qu’au contraire de la position généralement soutenue la reconnaissance mutuelle pourrait favoriser un accroissement potentiel du niveau de protection des droits fondamentaux (II). Enfin, il sera suggéré dans un troisième temps qu’un ajustement du mode de protection des droits fondamentaux à la spécificité des situations de reconnaissance mutuelle semble souhaitable (III).

I. Un ascendant superflu

Au nom d’une protection effective des droits fondamentaux, elle-même garante d’une confiance solide entre États, il serait justifié de conférer un ascendant de principe à la protection des droits fondamentaux sur la reconnaissance mutuelle. En pratique toutefois, la configuration de l’espace normatif européen fait que le risque de violation des droits fondamentaux découlant de la reconnaissance mutuelle est relativement faible. Pour tenter de le montrer, il sera distingué selon que la violation encourue des droits fondamentaux trouve son origine directement dans l’État dans lequel la reconnaissance est appliquée, ou selon qu’elle selon qu’elle provient indirectement d’un autre État membre de l’Union dont la décision est reconnue. Dans le premier cas la contradiction ne pose pas de difficulté véritablement nouvelle, de sorte qu’elle est en grande partie déjà résolue. Dans le second cas, la contradiction ne paraît pas si évidente, au point qu’une restriction de la reconnaissance mutuelle ne semble pas par principe nécessaire.

A. L’hypothèse de violation directe des droits fondamentaux

Dans l’hypothèse simple de risque de violation « directe » des droits fondamentaux, les autorités nationales d’un État membre se trouvent écartelées entre l’obligation de reconnaissance d’un standard provenant d’un autre État membre et l’obligation de respecter les droits fondamentaux constitutionnels ou conventionnels. Face à cette difficulté, la Cour de justice a adopté une attitude que l’on peut estimer globalement favorable aux droits fondamentaux de l’État requis lorsque le requérant réclame la reconnaissance mutuelle. Le problème pourrait survenir lorsque sont en cause les droits fondamentaux d’un requérant qui s’oppose à la reconnaissance mutuelle, mais alors l’État requis n’est pas, en tant que tel, directement en cause.

1. S’agissant de la situation dans laquelle un requérant réclame la reconnaissance mutuelle, la résolution de la contradiction potentielle passe par un test de proportionnalité entre les intérêts individuels de celui qui invoque la reconnaissance mutuelle et les intérêts collectifs de la société nationale. La protection de droits fondamentaux relève alors d’une forme spécifique d’ordre public. En pareil cas, Cour de justice accorde le plus souvent une large marge d’appréciation aux autorités nationales. Elle a clairement admis dans l’affaire Omega Spielhallen que les autorités nationales puissent appliquer sur leur territoire leur propre standard de protection de la dignité humaine pour faire obstacle à la reconnaissance d’une activité de jeux de laser légalement autorisée au Royaume-Uni 17 De même, dans l’affaire Dynamic Medien, elle a considéré, que contrairement à ce que requiert en principe la reconnaissance mutuelle, un contrôle supplémentaire de programmes vidéo par rapport à celui déjà effectué dans un autre État membre, pouvait se justifier au nom de la protection des droits fondamentaux des mineurs 18 Il est vrai que, sinon, la Cour de justice s’exposerait à un conflit avec l’interprétation du standard constitutionnel interne, voire avec la Cour européenne des droits de l’homme, en cas de diminution trop importante de la protection. Certains cas plus problématiques existent. Dans l’affaire Laval un Partneri, le juge de l’Union a estimé que la libre prestation des services ne pouvait pas être restreinte au nom de la protection des droits fondamentaux des syndicats et des travailleurs, conduisant à ne pas leur permettre d’imposer le strict respect du standard national. En l’espèce toutefois, le juge européen a qualifié de discriminatoire l’atteinte à la libre circulation 19 Par conséquent, ce n’est pas tant la règle de la reconnaissance mutuelle qui était mise en cause, que celle du traitement national et de l’interdiction de la discrimination dont on sait qu’elle fait l’objet d’un contrôle logiquement plus strict en raison de la dimension protectionniste des mesures qui y portent atteinte. En outre, en ce domaine, la directive sur le détachement des travailleurs permet à l’État requis d’appliquer une partie de ses propres standards nationaux en matière sociale 20 Ces circonstances particulières peuvent expliquer que l’argument de la diminution de la protection nationale des droits fondamentaux des travailleurs ait pu être dépassé, bien que les critiques persistent 21

2. S’agissant de la situation, moins fréquente, dans laquelle un requérant conteste la reconnaissance mutuelle, la Cour de justice adopte une position réservée, mais qui pourrait devenir plus réceptive à la faculté de déroger à la reconnaissance mutuelle afin de tenir compte du respect les droits fondamentaux lorsque le recours même à la reconnaissance mutuelle apparaît injustifié, voire abusif. Tel fut le cas, par exemple, lorsque la Cour de cassation française refusa de donner suite à un mandat d’arrêt délivré en Allemagne contre la mère de cinq enfants scolarisés en France pour le vol d’un porte-monnaie d’une valeur de 40 euros 22 Il est clair que quelque soit le bien-fondé de la poursuite en Allemagne, le simple fait d’exécuter un tel mandat pourrait avoir des conséquences graves et disproportionnées sur la vie familiale de l’intéressée ainsi que sur l’intérêt des enfants. Dans cette situation, la prise en compte des droits fondamentaux en amont permettrait d’éviter qu’une reconnaissance mutuelle mécanique n’entraîne un conflit de logiques. En effet, l’origine du conflit ne vient pas tant de l’État dans lequel la reconnaissance est demandée que de celui qui en fait la demande. Comme le souligne l’Avocat général Sharpston, « l’une des critiques dont a fait l’objet la manière dont la décision-cadre [sur le mandat d’arrêt] a été mise en œuvre dans les États membres est que la confiance dans son application a été ébranlée par l’émission systématique de mandats d’arrêt européens en vue de la remise de personnes recherchées pour des infractions souvent très mineures qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier les mesures et la coopération que requiert l’exécution d’un tel mandat » 23 De sorte que le problème ne provient pas tant de l’exécution du mandat par l’État requis que de son émission par l’État qui en est auteur. C’est précisément afin de ne pas placer l’État requis dans une position embarrassante en raison de l’usage abusif de la reconnaissance mutuelle par un autre État membre que dans la nouvelle directive 2014/41 sur l’enquête européenne est désormais expressément instaurée une condition de proportionnalité de la demande de reconnaissance mutuelle 24

En réalité, ont voit que ce qui pose véritablement problème est l’hypothèse dans laquelle la violation émane d’un autre État membre de l’Union que l’État dans lequel la reconnaissance mutuelle est sollicitée ou contestée.

B. L’hypothèse de violation indirecte des droits fondamentaux.

L’hypothèse de violation « indirecte » des droits fondamentaux est celle dans laquelle un État A pourrait être tenu responsable d’une violation des droits fondamentaux émanant d’un État B en raison d’une obligation de reconnaissance mutuelle. A première vue plus complexe, il est possible pour la résoudre d’envisager l’appartenance simultanée des États membres de l’Union au système de la Convention européenne des droits de l’homme, non pas comme une source de contradiction potentielle, mais au contraire plutôt comme un moyen de concilier les impératifs de reconnaissance mutuelle et de protection des droits fondamentaux. Cela nécessite toutefois d’interpréter strictement les règles de recevabilité devant le juge européen des droits de l’homme. On distinguera cette fois selon que l’allégation de violation des droits fondamentaux est passée ou future.

1. Dans le premier cas de violation passée, il est demandé sur le fondement de la reconnaissance mutuelle de donner effet dans un État A à une situation déjà constituée en violation des droits fondamentaux dans un État B, soit en quelque sorte de prolonger une violation antérieure. Cette hypothèse est celle de l’affaire Radu tranchée par la Cour de justice dans le sens où un État, dès lors que le droit dérivé de la reconnaissance mutuelle prévoit un nombre limité d’exception à sa pleine application, n’est pas tenu de s’assurer que la décision qu’il exécute en vertu d’un mandat d’arrêt européen a été prise conformément aux droits fondamentaux 25 De même, dans l’affaire Melloni, la Cour de justice a estimé que, lorsqu’une harmonisation européenne des droits de la défense a été adoptée, l’application du standard harmonisé suffit à s’assurer du respect des droits fondamentaux, y compris si la constitution nationale d’un autre État est invocable et s’avère plus protectrice 26 Le risque de contradiction découle de ce que le strict respect des droits fondamentaux semblerait au contraire imposer la vérification par l’État requis du respect antérieur des droits fondamentaux dans l’État d’origine de la décision litigieuse, voire à faire bénéficier de son propre standard de protection plus favorable le requérant placé sous sa juridiction. Toutefois, il est éminemment problématique d’imposer à un État de vérifier qu’un autre État, tout aussi démocratique et par ailleurs membre de la Convention respecte bien les droits fondamentaux. Certes, il est possible de considérer qu’en prêtant son concours à la mise en œuvre d’une décision potentiellement contraire aux droits fondamentaux, l’État requis se rendrait en quelque sorte complice d’une telle violation à laquelle il pourrait éviter de donner effet 27 Néanmoins, lorsque les deux États en cause font partie de la Convention, cette appréciation, potentiellement délicate, ne devrait incomber qu’au juge européen lui-même qui, saisi de la situation d’origine, est parfaitement en mesure de déterminer si le standard européen a été ou non enfreint sans contraindre un autre juge national à conjecturer d’une telle violation.

C’est donc logiquement que lorsque les deux États sont parties à la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que la requête dirigée contre un État requis de donner effet à une décision de l’autre État devait être jugée irrecevable en incitant le requérant à se tourner uniquement contre l’État directement à l’origine de la violation 28. Notamment, dans la décision Povse c/ Autriche, la Cour a refusé de contrôler la décision des tribunaux autrichiens de reconnaître une décision des juges italiens ayant attribué la garde d’une enfant en estimant que les autorités autrichiennes n’avait fait que respecter le droit de l’Union européenne sur la reconnaissance des décisions de justice (dit règlement Bruxelles II bis), lui-même couvert par une présomption de protection équivalente au sens de la jurisprudence Bosphorus, et que la requérante restait libre de pouvoir contester cette décision dans le système italien, lui-même soumis au respect de la Convention 29. Une évolution, contestable, pourrait se dessiner. Dans l’affaire Avotins, actuellement pendante devant la Grande chambre, la Cour européenne s’est écartée de cette position stricte d’irrecevabilité 30, en admettant qu’une fois le délai de recours expiré contre la décision directement à l’origine de la violation alléguée, en l’occurrence une condamnation in abstentia pour défaut de remboursement d’une dette, le requérant puisse invoquer le respect de ses droits fondamentaux devant l’État qui ne fait qu’en assurer l’exécution sur le fondement de la reconnaissance mutuelle. Alors même que le requérant avait eu les moyens de se plaindre de la décision juridictionnelle d’origine, la Cour de Strasbourg accepte de prolonger son droit d’action devant elle en lui permettant d’attaquer la décision d’exécution prise dans un autre État. Cet ascendant ainsi donné aux droits fondamentaux sur la reconnaissance mutuelle semble exagérément protecteur du requérant, et partant superflu. Le requérant insuffisamment diligent risque de profiter de sa situation transnationale pour contourner la règle du délai de recours devant la Cour européenne des droits de l’homme et proroger sans motif son droit de recours individuel. A la rigueur, dans la mesure où un recours n’aurait pu être exercé auparavant contre l’État à l’origine de la mesure et également membre de la Convention, la solution consistant à ne pratiquer qu’un contrôle très réduit de l’erreur manifeste d’appréciation afin de ne pas imposer à l’État requis une obligation de vérifier systématiquement le respect des droits fondamentaux par un autre État, serait suffisante et permettrait de ne pas remettre en cause ouvertement la reconnaissance mutuelle intra-européenne. Il nous semble donc que ce n’est qu’à titre tout à fait exceptionnel, uniquement lorsque le requérant prouve qu’il n’a pas pu contester dans le délai imparti une mesure initiale et que celle-ci porte une atteinte manifeste à ses droits fondamentaux, que le degré de reconnaissance mutuelle pourrait être abaissé au regard du respect des droits fondamentaux en cas de violation antérieure dans un autre État.

2. Dans le second cas, la violation alléguée des droits fondamentaux est non seulement le fait d’un autre État que l’État requis, mais de surcroît elle est « future », ou pour emprunter le langage conventionnel « potentielle ». Dans cette hypothèse, il est demandé à un État A de donner effet à la décision d’un État B risquant de provoquer par la suite une violation des droits fondamentaux dans ce même État, c’est-à-dire d’autoriser la violation. Cette configuration risque d’être particulièrement problématique en matière pénale, bien qu’elle n’ait pour l’instant pas encore donné lieu à des décisions significatives. Cela aurait pu être le cas de l’affaire Yilmaz dans laquelle le requérant considérait que la décision des autorités belges de donner effet au mandat d’arrêt européen délivré contre lui en Bulgarie l’exposait à un risque de mauvais traitement contraire à l’article 3 de la Convention dans les prisons de ce même État 31 Toutefois, le requérant s’étant enfui de Belgique, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé la requête irrecevable pour défaut de qualité de victime. En dehors du champ pénal, le hiatus entre les logiques de confiance mutuelle et de protection effective des droits fondamentaux a déjà eu lieu dans le cadre particulier de la politique commune d’asile provoquant une divergence entre la Cour de justice et la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires N.S. d’un côté 32 et Tarakhel de l’autre 33 Tandis que la Cour de justice a admis qu’un État puisse ne pas renvoyer un demandeur d’asile dans un autre État de l’Union uniquement en cas de « défaillance systémique et généralisée » de la protection de ses droits fondamentaux, la Cour européenne des droits de l’homme a étendu cette obligation de rompre la confiance mutuelle entre États membres à toutes les situations individuelles dans lesquelles des risques réels existent de porter atteinte aux droits des personnes vulnérables, notamment des enfants. Cette application mécanique de la jurisprudence Soering et de la notion de victime « potentielle » dégagée à propos de risque de violation postérieure de la part d’État tiers 34 peut là encore paraître excessivement protectrice dans le cadre de l’Union, dès lors que la décision finale préjudiciable sera en tout état de cause soumise au contrôle de conventionnalité par le juge interne compétent, voire subsidiairement par le juge européen. En l’absence de défaillance avérée et généralisée de la protection d’un autre État, il semble bien aléatoire de pronostiquer une violation autrement qu’en projetant sa propre appréciation sur ce que le respect des droits fondamentaux requiert.

L’ascendant de la protection des droits fondamentaux conduit à ériger une autorité ou juridiction d’un État membre de l’Union en organe de réexamen d’une décision prise par une autorité ou une juridiction d’un autre État membre. Violation passée et violation future des droits fondamentaux se rejoignent alors pour instaurer une forme de double contrôle des droits fondamentaux et de défiance généralisée entre États. Dans l’affaire V.M., la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Belgique pour traitement dégradant (en raison des conditions d’accueil des enfants de migrants, et notamment d’une enfant handicapée) et pour ne pas avoir organisé un système suffisamment effectif de recours contre une décision de rejet d’une demande d’asile, pourtant déjà examinée et rejetée par les autorités françaises 35. Par conséquent, comme le regrettent les juges dissidents 36, la condamnation de la Belgique revient à imposer un système de double contrôle en matière d’asile, et à suggérer que la France n’exerce pas un contrôle satisfaisant des droits des demandeurs d’asile en rompant la confiance entre les États de l’Union. Prolongé à d’autres questions, le raisonnement s’avère particulièrement problématique : est-ce au juge de l’État requis de contrôler la proportionnalité de la peine encourue par l’inculpé dans l’État d’émission du mandat d’arrêt ? Si un État décide d’incriminer un comportement particulier, est-ce au juge d’un autre État de statuer sur la légitimité et la proportionnalité de cette incrimination ainsi que la manière avec laquelle elle sera éventuellement appliquée ? Au contraire, lorsque la violation émane d’un autre État membre de l’Union que l’État requis, la prudence commanderait de ne pas pratiquer de contrôle horizontal de respect des droits fondamentaux, sauf si une défaillance systémique et généralisée est avérée. Probablement sources de nombreuses difficultés, il est loin d’être certain que la généralisation de ces doubles contrôles garantisse une protection plus effective des droits fondamentaux

De ce qui précède ressort que les cas de restriction de la reconnaissance mutuelle sur le fondement de la protection effective des droits fondamentaux n’ont pas à être étendus bien au-delà de ce qui existe déjà. Ils pourraient se limiter à titre principal à la préservation du standard national de l’État requis au terme d’un contrôle de proportionnalité, ce qui est déjà le cas depuis longue date. Du côté de l’État requérant, un contrôle plus poussé d’opportunité devrait être opéré à l’égard des décisions de déclenchement de la reconnaissance mutuelle. Cela obligerait les autorités nationales à exercer leur pouvoir transnational de façon plus responsable et moins mécanique, sans toutefois ériger un juge national en censeur d’un autre système démocratique que le sien. Le niveau global de protection des droits dans l’Union n’en sera pas amoindri, puisque chaque État membre de l’Union étant également membre de la Convention il reste passible de contrôle en tant que tel. Il pourrait même s’en trouver globalement augmenté, non pas en tenant responsables des États qui n’ont fait que donner effet aux décisions d’autres États, mais en considérant que la reconnaissance mutuelle offre des possibilités intéressantes d’exploiter la diversité des droits nationaux. Dans ce cas, loin de l’affaiblir, la reconnaissance mutuelle pourrait renforcer le niveau de protection des droits fondamentaux dans l’Union.

II. Un renforcement potentiel

Favorablement accueillies tant par la Cour de justice que par la Cour européenne des droits de l’homme, les revendications invoquant conjointement reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux offrent des potentialités nombreuses. Dans la continuité de la réflexion précédente, on les distinguera selon que la reconnaissance mutuelle est utilisée afin de ne pas diminuer un niveau antérieur de protection accordé par un autre État, ou selon qu’elle est invoquée afin d’obtenir un niveau supérieur de protection accordé par un autre État.

A. La préservation d’un niveau antérieur de protection

Il serait tentant de penser que toute diminution manifeste d’un standard de protection des droits fondamentaux en raison du franchissement d’une frontière constitue une entrave en puissance à la libre circulation transnationale. Malgré certaines propositions en ce sens 37, la Cour de justice ne s’est jamais résolue à l’affirmer aussi clairement. En revanche, dans un certain nombre de cas, le respect des droits fondamentaux a été invoqué à l’appui d’une demande de reconnaissance mutuelle tant dans le cadre du marché intérieur que de l’ELSJ.

1. Il devient de plus en plus fréquent que la commercialisation transnationale d’un bien ou d’un service aboutisse à déplacer la question de la reconnaissance mutuelle sur le terrain des droits fondamentaux, qui jouent en ce cas comme des contre-limites à la possibilité de limiter la libre circulation ainsi que l’a posé l’arrêt ERT 38 L’affaire Familia Press est une bonne illustration de la relation symbiotique possible entre reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux 39 Dans cette affaire, un magazine allemand était interdit à la vente en Autriche parce qu’il comportait des jeux assortis de gains, pratique autorisée en Allemagne mais interdite en Autriche. Pour échapper à l’obligation de reconnaissance mutuelle qui lui imposerait de donner effet sur son territoire au standard allemand, l’Autriche invoque l’objectif de pluralisme des idées et de la presse, imposant de ne pas privilégier celles parmi les entreprises de presse qui disposent de moyens financiers permettant de mettre en place de tels jeux d’argent. Toutefois, cet objectif est apprécié en tant que dérogation au principe plus large de la liberté d’expression qui vient au contraire renforcer l’obligation ne pas entraver la publication de magazines légalement commercialisés ailleurs. Si la Cour de justice admet en l’espèce l’éventualité d’une restriction à la reconnaissance mutuelle, elle la soumet au respect effectif de la liberté d’expression en renvoyant au juge national le soin d’évaluer la proportionnalité de la mesure sous cet angle de la liberté d’expression. De sorte que le couplage de la reconnaissance mutuelle et des droits fondamentaux pourrait aboutir à remettre en cause les équilibres internes jusqu’alors établis et à contraindre les États les plus restrictifs à autoriser sur leur territoire le bénéfice de standards légalement protégés dans d’autres États.

Cette combinaison de la reconnaissance mutuelle et des droits fondamentaux pourrait se développer avec la tendance à fondamentaliser les libertés économiques de circulation. L’inscription dans la Charte des droits fondamentaux des articles 15 et 16, respectivement relatifs à la liberté professionnelle et à la liberté d’entreprise, crée une intrication encore plus avancée entre reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux dans le marché intérieur. Dans l’affaire Pfleger qui concernait l’interdiction autrichienne d’exploiter des machines légalement autorisées dans des pays limitrophes, la Cour de justice a fusionné l’argument tiré de la libre circulation des marchandises et des services avec celui issu de la liberté d’entreprise protégée par l’article 16 de la Charte, afin d’estimer que la réglementation litigieuse étant disproportionnée sous l’angle de la liberté de circulation, elle l’était également nécessairement sous l’angle des droits fondamentaux 40. Partant, rien ne semble s’opposer au raisonnement inverse : une réglementation disproportionnée sous l’angle des droits fondamentaux et de la liberté d’entreprise deviendrait nécessairement contraire à la libre circulation et au marché intérieur. Le non-respect des droits fondamentaux jouerait alors comme un facteur aggravant d’une requête fondée sur l’entrave à la libre circulation et en appuierait le caractère injustifié. Cette perspective est-elle transposable aux droits des personnes ? L’article 15 §2 de la Charte, protégeant la liberté transnationale du citoyen européen travailler et d’exercer une activité, pourrait servir de fondement à une extension de la reconnaissance mutuelle aux droits fondamentaux du travailleur. Ainsi, une personne contrainte de renoncer au bénéfice de certains droits, par exemple ceux attachés à un mariage autorisé dans un État mais interdit dans un autre, en raison d’une mobilité professionnelle transnationale pourrait être tentée de réclamer l’exportation vers un autre État du standard protecteur dont elle jouit sous peine de porter atteinte à l’article 15 de la Charte.

2. L’ELSJ se prête également à une combinaison de la reconnaissance mutuelle et des droits fondamentaux dans un sens extensif. Le statut civil du citoyen de l’Union forme un objet propice au développement de la reconnaissance mutuelle à l’aune du respect des droits fondamentaux. Dans l’affaire Grunkin et Paul, le requérant né au Danemark tout étant de nationalité allemande, a imposé la reconnaissance en Allemagne de son double nom de famille tel qu’obtenu conformément au droit danois, alors même que le droit allemand ne prévoyait pas une telle possibilité d’inscrire un double nom de famille 41 Comme le note l’Avocat général Sharpston, dans cette espèce, il ne s’agit « de rien d’autre que d’appliquer le principe de la reconnaissance mutuelle qui est à la base d’une bonne partie des règles communautaires, non seulement dans le domaine économique, mais aussi en matière civile » 42. Pour justifier une telle application extensive de la reconnaissance mutuelle en dépit des règles de droit international privé allemand, la libre circulation est étroitement combinée avec la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, protégé notamment à l’article 24 §2 de la Charte 43 Dans son arrêt Sayn Wittgenstein, la Cour de justice a de même expressément combiné la reconnaissance mutuelle aux articles 7 de la Charte et 8 de la Convention qui consacrent le droit au respect de la vie privé, auquel le droit au nom est rattaché 44

De façon encore plus nette, le statut pénal de l’accusé offre une possibilité de combinaison de la reconnaissance mutuelle élargie et de protection des droits fondamentaux en faveur du standard le plus favorable. C’est probablement l’application transnationale du principe de ne bis in idem qui en offre l’illustration la plus évidente. Dans l’arrêt fondateur Gözütok et Brügge, la Cour de justice estimé que le principe de ne bis in idem, consacré à l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, empêchait une juridiction d’un État membre d’engager des poursuites dès lors que les faits reprochés avaient déjà fait l’objet d’une mesure d’extinction de l’action publique dans un autre État par un règlement amiable 45 De même, dans l’affaire M., le requérant italien, résidant en Belgique, avait été accusé de violence sexuelle sur mineure sans que l’instruction belge ne trouve de charges suffisantes, ce qui entraîna l’adoption d’une ordonnance de non-lieu au bénéfice du requérant, confirmé en appel et en cassation 46 Toutefois, également saisie des mêmes faits, un juge d’instruction italien estima au contraire les charges suffisantes pour renvoyer le requérant devant une juridiction de jugement. Mettant en avant le principe de ne bis in idem protégé désormais à l’article 50 de la Charte et à la lumière duquel le conflit de compétence doit être examiné 47, la Cour de justice a estimé que l’ordonnance de non-lieu belge constituait une décision de justice couverte par l’obligation de reconnaissance mutuelle imposant dès lors aux autorités judiciaires italiennes d’interrompre les poursuites engagées contre le requérant considéré comme ayant déjà été innocenté par les autorités belges.

Du bénéfice transnational d’un standard de protection déjà constitué à la constitution sur le fondement de la reconnaissance mutuelle d’un standard plus favorable, il n’y a qu’un pas que les requérants les plus avertis n’ont pas tardé à franchir.

B.L’obtention d’un niveau supérieur de protection

La reconnaissance mutuelle offre la possibilité d’exploiter la diversité des standards nationaux de protection des droits fondamentaux afin d’obtenir une protection plus élevée que celle de l’État d’origine. Initiée sur le fondement de l’interdiction des entraves à la sortie de l’État, la pratique consistant à importer sur le territoire national des standards plus protecteurs accordés dans d’autres États membres pose la question d’un alignement progressif vers le standard le plus élevé. Tant le logiciel du droit de l’Union que celui de la protection des droits fondamentaux y semblent nettement favorables.

1. En droit de l’Union, la recherche d’une élévation du niveau de protection des droits fondamentaux sur le fondement de la libre circulation remonte à l’affaire Grogan, dans laquelle la Cour de justice a admis implicitement que l’interdiction de l’avortement en Irlande n’empêchait pas les ressortissantes de cet État d’exercer leur liberté d’accéder à un tel service sur le territoire d’autres États autorisant l’avortement 48 La Constitution irlandaise a été modifiée en conséquence afin de reconnaître en les dépénalisant la légalité des avortements pratiqués en dehors d’Irlande (article 40.3.3, 2ème alinéa de la Constitution irlandaise). Dans son arrêt A. B. C. c/ Irlande la Cour européenne des droits s’est ouvertement fondée sur le fait que l’avortement était possible hors d’Irlande pour estimer que son interdiction sur le territoire irlandais ne portait pas une atteinte disproportionnée à l’autonomie personnelle des femmes désirant avorter 49 Cette invitation à rechercher ailleurs ce que l’on peut obtenir dans son propre État est largement encouragée par le droit de l’Union. La Cour de justice ne considère pas comme abusif, sauf rares exceptions, le fait de se déplacer dans un autre État afin de contourner des réglementations nationales défavorables 50 La pratique se répand qui voit certains requérants exploiter la diversité des réglementations afin d’en demander la reconnaissance postérieure et de mieux protéger leurs droits. L’affaire Zhu et Chen en est une bonne illustration en ce qu’elle a permis à une ressortissante de pays tiers en situation irrégulière d’obtenir un droit de séjour au Royaume-Uni au titre du respect de la vie familiale l’unissant à sa fille qu’elle avait pris soin de faire naître sur le territoire nord-irlandais afin qu’elle obtienne la nationalité irlandaise sur le fondement du jus soli et, par ricochet, la citoyenneté européenne ouvrant droit à la régularisation des membres de la famille du citoyen européen 51 De même, dans l’affaire Metock, en se référant expressément au droit à la vie familiale protégé par l’article 8 de la Convention, la Cour de justice a estimé que le déplacement dans un autre État membre d’une citoyenne européenne et son mariage dans cet État avec un ressortissant de pays tiers en situation irrégulière dans le but de régulariser sa situation était couvert par la liberté de circulation et ne constituait pas un abus de droit 52

L’ELSJ se prête également à une recherche de standard plus élevé de protection, bien que la Cour de justice semble vouloir y apporter certaines limites, notamment au nom de la protection des droits d’autrui. En matière de liberté d’expression sur internet, la diversité des droits nationaux peut être attractive pour les opérateurs désireux de publier certains contenus interdits dans un État mais autorisés dans un autre. Dans l’affaire eDate-Advertising et Martinez, il était reproché à certains sites situés le territoire d’un État membre d’avoir diffusé des informations portant atteinte à la vie privée des requérants établis dans d’autres États membres 53 Le conflit, classique, entre liberté d’expression et vie privée se trouvait compliqué par un problème de conflit de compétence et de droit applicable pour déterminer si un juste équilibre avait été ou non observé. Si la Cour admet qu’au nom de la protection des victimes une action puisse être intentée sur le territoire de n’importe quel État dans lequel l’information a été diffusée, elle souligne cependant in fine que la responsabilité encourue par l’éditeur ne doit pas excéder celle de l’État dans lequel il est établi 54 Il s’agit d’un incitatif fort à s’établir dans l’État où le standard de libre communication des informations et des idées est le plus élevé pour ensuite en réclamer la reconnaissance par d’autres États. En matière pénale, enfin, rien n’empêche une personne inculpée ou condamnée de rechercher sur le territoire de l’Union, le droit national le plus protecteur de ses intérêts. Dans l’affaire Melloni, si la Cour de justice a estimé que le standard espagnol de protection des droits de l’accusé ne pouvait être invoqué pour conditionner la remise du requérant aux autorités italiennes, c’est uniquement parce que la décision-cadre sur le mandat d’arrêt avait été révisée afin d’harmoniser la question spécifique des condamnations par contumace 55 Une lecture a contrario de l’affaire Melloni pourrait suggérer qu’en l’absence d’harmonisation, le standard national de l’État dans lequel se trouve l’accusé pourrait être imposé à l’État auteur de l’émission du mandat d’arrêt. Comme l’écrit l’Avocat général Bot dans cette affaire, la solution repose pour grande partie sur le fait qu’il convient de « distinguer les situations dans lesquelles il existe une définition au niveau de l’Union du degré de protection qui doit être garanti à un droit fondamental dans le cadre de la mise en œuvre d’une action de l’Union et celles où ce niveau de protection n’a pas fait l’objet d’une définition commune » 56. Par conséquent, en dehors des hypothèses dans lesquelles un standard commun a été clairement adopté, rien n’interdit de penser que la reconnaissance mutuelle puisse s’en trouver inversée: tandis qu’elle servirait à l’origine à fonder le mandat d’arrêt et une limitation accrue de liberté, elle deviendrait le support d’une obligation de prise en compte par l’État émetteur du mandat du standard de protection dans lequel le requérant se trouve sous peine de porter atteinte à ses droits fondamentaux.

2. Dans le cadre de la protection des droits fondamentaux, l’effet d’entraînement avec la mobilité transfrontière est également avéré. C’est en matière familiale que l’on trouve pour l’instant le plus de manifestations de la réceptivité des organes d protection des droits fondamentaux à la reconnaissance de situations légalement constituées en dehors des frontières de l’État requis.

En matière de filiation, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà été saisie de deux requêtes en ce sens, toutes deux tranchées favorablement aux requérants. Dans l’affaire Wagner, la Cour de Strasbourg s’est prononcée sur une adoption légalement effectuée au Pérou par un adoptant luxembourgeois ne vivant pas en couple, alors même qu’une telle adoption était interdite au Luxembourg 57. Prenant appui sur le droit effectif au respect de la vie privée et familiale, elle a estimé que le Luxembourg devait reconnaître une telle situation. De même, dans les affaires Mennesson et Labassee, rendues contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les droits fondamentaux des enfants nés par GPA aux États-Unis exigeaient que leur filiation légalement constituée dans cet État soit également reconnues en France, alors même que la France interdit le recours à ce type de procréation 58

En matière d’union maritale, la reconnaissance du mariage homosexuel aux États-Unis est topique de la spirale progressiste que provoque la combinaison de l’obligation de reconnaissance mutuelle et de la protection des droits fondamentaux. La Cour suprême américaine des États-Unis est passée en quelques années d’une neutralité totale de la Constitution fédérale sur la question du mariage gay au sein des États fédérés à une pleine légalisation de ce type d’union sur l’ensemble du territoire fédéral. Après avoir dans un premier temps estimé que la pénalisation des pratiques homosexuelles entre adultes consentants était contraire aux droits fondamentaux 59, la juridiction fédérale a logiquement considéré que la Constitution américaine ne s’opposait à la légalisation du mariage gay dans certains États 60 . Mais à partir de là, il a suffit que certains États autorisent le mariage homosexuel pour que les autres États, pourtant réfractaires à ce type de mariage, soient contraints à reconnaître sur leur territoire la légalité des unions homosexuelles légalement réalisées en dehors de leurs frontières fédérées sur le fondement de la libre circulation citoyenne. Afin de déterminer si les États réfractaires pouvaient valablement s’opposer à une telle reconnaissance, la Cour suprême en est venue finalement à devoir décider si la Constitution fédérale protège le droit de se marier des personnes homosexuelles, et par une décision contestée a finalement consacré le droit à une telle union sur l’ensemble du territoire des États Unis 61

La combinaison de la reconnaissance mutuelle et des droits fondamentaux permet au requérant de réclamer un standard plus élevé malgré la marge de manœuvre politique dont sont censées bénéficier les autorités nationales. Ce qu’il convient par conséquent d’envisager est la manière avec laquelle ajuster le raisonnement relatif à la protection des droits fondamentaux au regard de la capacité accrue de mobilité transnationale des individus sur le territoire de l’Union.

III. Un ajustement souhaitable

S’il rejoint celui de la reconnaissance mutuelle pour asseoir une revendication de protection plus élevée, le logiciel des droits fondamentaux peine toutefois à tenir compte de la spécificité des situations transnationales 62. Envisager que le contrôle européen des droits fondamentaux devienne transnational implique de le faire basculer dans une logique davantage horizontale de résolutions des litiges mettant en relation les standards démocratiques et intérêts politiques de différents États membres. Des adaptations des technique traditionnelles de contrôle du respect des droits fondamentaux apparaissent souhaitables tant au niveau du test central de proportionnalité qu’il faudrait renouveler, qu’au niveau que de l’exigence transversale d’égalité qu’il convient de développer. Les difficultés demeurent pour autant nombreuses.

A. La renouvellement du contrôle de proportionnalité

La reconnaissance mutuelle pose ouvertement la question du maintien de la technique traditionnelle de contrôle de la proportionnalité, aussi bien en ce qui concerne la définition de l’étendue de la marge d’appréciation qui en conditionne le degré d’examen, qu’en ce qui concerne le critère de nécessité qui détermine le niveau requis de protection. Dans les deux cas, le contrôle de la proportionnalité s’en trouve singulièrement renforcé en situation transnationale, limitant l’autonomie politique des États.

1. Dans le système européen de protection des droits fondamentaux, le contrôle de la proportionnalité est étroitement dépendant de l’étendue de la marge nationale d’appréciation qui est censée assurer un compromis entre l’unité de la société démocratique européenne et la diversité des sociétés nationales. La technique de la marge d’appréciation fait néanmoins l’objet de vives critiques notamment en ce qu’elle module, de façon assez aléatoire, un contrôle de proportionnalité lui-même par essence déjà flexible 63 Tout aussi critiqué 64, le principal critère pour délimiter l’étendue de la marge d’appréciation reconnue aux autorités nationales est celui de la présence d’un « consensus européen » sur la question, ainsi que l’a rappelé vigoureusement la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Lautsi afin de renverser la solution dégagée par la chambre sur la question du signe religieux dans les salles de classe 65 A l’aune de ce critère discutable du « consensus européen », il ressort que plus les droits nationaux sont disparates, plus la marge d’appréciation sera élevée et moins le contrôle de proportionnalité sera approfondi afin de respecter les spécificités nationales, notamment sur les questions sensibles impliquant des choix de société. La logique apparente de cette approche est évidente. Les droits fondamentaux présentant la particularité de poser des normes à contenu particulièrement ouvert et de faire l’objet d’inévitables désaccords au sein de la société, leur interprétation nécessite de faire appel à des jugements de valeur qui reflètent les caractères identitaires et culturels des collectivités nationales. Les liens identitaires constituant le fondement ultime de la capacité d’un État à rassembler les divers intérêts contradictoires au sein de la discussion politique interne, ils justifient que le contrôle externe soit plus limité, expliquant l’existence de divergences significatives entre États.

Le problème de ce mode de raisonnement est que la diversité juridique en devient un motif d’auto-justification à l’autonomie politique des États : plus la diversité est importante parmi les États, plus il est difficile de les contrôler, plus leur autonomie est préservée, et plus ils ont de possibilité d’alimenter cette diversité, etc… Or, en cas de situation transnationale gouvernée par une obligation de reconnaissance mutuelle, il semble particulièrement difficile d’avoir recours à ce raisonnement classique fondé sur l’existence ou l’absence d’un dénominateur commun aux États pour définir le degré de contrôle. Par hypothèse, la reconnaissance mutuelle met en scène deux États aux standards de protection différents sur la base de l’un desquels une décision a été légalement adoptée ou une situation a été légalement constituée et dont l’application est sollicitée dans un autre État. Dans cette configuration, peu importe finalement qu’un consensus se dessine en faveur d’un des deux standards puisque c’est précisément d’ignorer leur différence que recherche la reconnaissance mutuelle. Ainsi, dans l’affaire Grunkin et Paul, sur le double nom de famille 66, il ne s’agit pas de savoir si l’Allemagne peut légitimement faire usage de sa marge d’appréciation afin de ne pas autoriser une telle pratique pour ses nationaux (ce que personne ne conteste), mais plutôt de savoir comment raisonner lorsque deux États européens ont fait des choix différents, chacun justifiable selon leur propre marge d’appréciation. En pareil cas, le contrôle européen du respect des droits fondamentaux se trouve à devoir trancher entre deux standards démocratiques également légitimes, sans pouvoir se retrancher derrière l’argument de la marge d’appréciation. Un exemple simple suffit à le montrer : si les affaires 67, il est fort probable que la Cour européenne aurait utilisé l’argument de l’absence de consensus européen qu’elle souligne expressément et longuement 68, pour ne pratiquer qu’un contrôle réduit et ne pas imposer de reconnaître une situation illégalement constituée. En revanche, à partir du moment où la situation est transnationale et qu’elle a été légalement constituée dans un autre État, l’argument de l’absence de consensus devient inadapté à la résolution du litige qui confronte directement le choix démocratique d’un État A d’interdire une pratique et le choix, tout aussi démocratique, d’un État B de l’autoriser. C’est alors la « contradiction » de ces choix qui devient problématique pour le sujet de droit, notamment lorsqu’est en cause son identité qui varierait sinon d’un ordre juridique à un autre et justifie de la sorte un contrôle plus poussé 69 C’est pourquoi, à la différence du raisonnement traditionnel développé pour la protection des droits fondamentaux au sein d’une État, dans un espace de libre circulation fondée sur la reconnaissance mutuelle, la diversité des législations devient un facteur de diminution de la marge d’autonomie nationale qui se heurte à celle d’un autre État. Cette redéfinition du degré de contrôle est accentuée par l’argument de la clause de non-régression du standard de protection.

2. En situation de reconnaissance mutuelle, la clause de non-régression inscrite aux articles 53 de la Charte des droits fondamentaux et de la Convention européenne des droits de l’homme pourrait devenir déterminante dans le contrôle de la proportionnalité. Rédigées dans des termes assez proches 70, les deux clauses prévoient en substance que les droits garantis dans chacun de ces textes ne peuvent être interprétés afin de réduire le standard de protection prévu par un autre texte, qu’il soit constitutionnel ou conventionnel. Pour l’instant quasiment inutilisée, la clause du standard le plus favorable peut jouer dans les deux sens vis-à-vis de l’obligation de reconnaissance mutuelle. Dans l’affaire Melloni, l’article 53 de la Charte était invoqué par le requérant afin de faire obstacle à l’obligation de reconnaissance par les autorités espagnoles de la décision de justice italienne et à sa remise aux autorités italiennes 71 On sait que la Cour de justice a en partie neutralisé l’effet de l’article 53 de la Charte en estimant que la question spécifique de la condamnation in abstentia avait fait l’objet d’une harmonisation européenne elle-même respectueuse des droits fondamentaux. Toutefois, l’hypothèse de l’existence d’une harmonisation européenne des standards de protection étant plutôt rare en pratique, la portée de l’article 53 de la Charte en dehors de cette configuration particulière demeure indécise 72 C’est pourquoi, à l’inverse, la clause de l’article 53 pourrait parfaitement venir appuyer une obligation de reconnaissance mutuelle. Par exemple, si un mariage homosexuel est légalement conclu dans un Etat et que sa reconnaissance est demandée sur le fondement de la libre circulation du travailleur ou du citoyen dans un autre État qui l’interdit, peu importe qu’il relève de la marge d’appréciation du second État et que le juge estime proportionné de maintenir une telle interdiction sur son territoire, le recours à l’argument de la non-régression le contraint à reconnaître une telle union à ceux qui en bénéficient déjà. Dans ce cas, la clause du standard plus favorable permettrait de trancher entre deux choix nationaux concurrents afin de forcer à une augmentation du standard national dans l’État le moins protecteur. Elle conférerait un fondement juridique à l’idée exprimée par certains auteurs selon laquelle la nécessaire concordance de standards de protection dans l’espace européen « ne peut aller que dans le sens d’un alignement sur le standard le plus élevé » [foot]H. Labayle et F. Sudre, « L’avis 2/13 de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme : pavane pour une adhésion défunte ? », RFDA, 2015, n° 1, spéc. p. 20[/foot] A l’aune de l’article 53 de la Charte et/ou de la Convention conçu(s) comme imposant le bénéfice du standard constitutionnel le plus favorable au requérant en cas de situation transnationale, le contrôle de la proportionnalité en serait à la fois profondément bouleversé et simplifié. Il ne consisterait plus en un test négatif de nécessité en vertu duquel l’objectif poursuivi ne pourrait être aussi bien atteint par des mesures moins contraignantes pour les libertés, mais prendrait la forme d’un test positif de « protectabilité » selon lequel les droits du requérant devraient être aussi bien protégés que ce à quoi il a droit dans l’État où il est ou d’où il vient. La délicate mise en balance des intérêts privés du requérants et des intérêts publics de l’État défendeurs serait ainsi nettement déséquilibrée par le recours à la clause de non-régression.

Le problème du recours à la clause de non-régression est qu’il risque de vider de toute flexibilité le contrôle de proportionnalité ; le standard de protection le plus favorable se répandant quasi-automatiquement, ouvrant la voie à des stratégies d’instrumentalisation et de lex shopping. Par exemple, si un mariage homosexuel est légalement conclu dans un État et que sa reconnaissance est demandée dans un autre État qui l’interdit, peu importe qu’il relève de la marge d’appréciation du second État et que le juge estime proportionné de maintenir une telle interdiction sur son territoire, le recours à l’argument de la non-régression l’oblige à reconnaître une telle union à ceux qui en bénéficient déjà. Pour espérer contrebalancer cette application mécanique du standard plus favorable, il faut alors avoir recours à une autre forme de raisonnement. Deux arguments semblent éventuellement mobilisables, issu l’un du droit de l’Union et l’autre du droit de la Convention.

Tout d’abord, si le standard national moins protecteur correspond à une forte spécificité constitutionnelle ou culturelle, il est envisageable de mettre en balance le bénéfice du standard plus protecteur avec l’impératif de l’« identité nationale ». Tel fût le cas dans l’affaire Sayn-Wittgenstein, à l’occasion de laquelle la Cour de justice a estimé que le respect de l’identité nationale autrichienne, à travers le principe constitutionnel d’égalité et le principe républicain d’abolition des privilèges, s’opposait à la reconnaissance en Autriche d’un nom de famille anobli pourtant légalement enregistré en Allemagne 73 Hormis cet exemple, l’argument identitaire n’est guère valorisé au sein de la jurisprudence européenne, tandis qu’il est le plus souvent brandi comme contre-limite à l’autorité du droit européen par les cours constitutionnelles nationales 74 Certes, le périmètre flou et la portée ambivalente de la notion d’identité nationale en rendent l’usage malaisé et ne font que repousser certaines incertitudes et vicissitudes de l’application classique du principe de proportionnalité. Y recourir permettrait toutefois de réduire l’inévitable aléa du raisonnement juridique à des questions particulièrement sensibles et de restituer plus fidèlement ce qui justifie une réticence nationale à la modification de son standard de protection. Il serait par conséquent souhaitable que les cours européennes incorporent plus ouvertement dans leur raisonnement l’argument de l’identité nationale, davantage que celui de l’existence ou non d’un consensus qui est largement inopérant en situation transnationale.

Ensuite, la configuration du conflit de droits fondamentaux 75 pourrait également permettre de limiter l’application mécanique de la clause de non-régression et du standard le plus favorable. Le propre des conflits horizontaux opposant deux personnes privées est logiquement que ce qui est plus favorable pour une partie devient plus défavorable pour l’autre partie. En conséquence l’argument de la prime à la protection plus élevée devient parfaitement réversible, et donc inopérant. Ces situations sont particulièrement problématiques et incitent les juges européens à substituer au contrôle de fond un contrôle de type procédural de la proportionnalité face à la difficulté de trouver un juste équilibre entre les droits en présence. Par exemple, dans l’affaire X. c/ Lettonie, la Cour européenne des droits de l’homme était saisie de la question d’un enlèvement d’enfant opposant le droit à la vie privée et familiale de la mère à celui du père 76 Alors que les juridictions lettones avaient donné effet à la décision des tribunaux australiens d’ordonner le retour de l’enfant en Australie, la Cour a estimé, à une voix de majorité, que la reconnaissance du jugement étranger violait les droits fondamentaux de la requérante en ce que les risques d’atteinte à l’intérêt supérieur l’enfant avaient été insuffisamment étudiés. Sans prendre parti sur le fond, le juge des droits de l’homme n’a voulu exercer qu’un contrôle limité du volet procédural de l’article 8 de la Convention à travers l’examen de la qualité de la procédure ayant abouti à la décision litigieuse 77 Face à une revendication de bénéfice standard plus favorable combiné à une obligation de reconnaissance, l’argument de la « protection des droits d’autrui » que ce soit directement par une personne privée ou indirectement par l’État prend une ampleur particulière. C’est d’ailleurs sur son fondement que la Cour européenne des droits de l’homme a accordé une marge d’autonomie politique importante aux États en matière religieuse 78 ainsi qu’en matière bioéthique. Une certaine flexibilité du raisonnement juridique et une diversité des droits internes pourraient être entretenues malgré le principe de reconnaissance mutuelle du standard le plus favorable.

En situation transnationale, notamment intra-européenne, il semble inévitable de devoir penser de nouvelles techniques juridictionnelles de raisonnement intégrant la difficulté de confronter des standards nationaux différents, reflétant des choix démocratiques variables, portés eux-mêmes par une grande variété possible de situations individuelles. Cela posera ultimement la question de la cohérence globale de la protection européenne des droits fondamentaux sous l’angle du principe d’égalité

B. Le développement du contrôle de l’égalité

Pour l’instant l’éventualité d’une application du principe d’égalité aux situations de reconnaissance mutuelle n’a guère été envisagée en profondeur. A l’origine, dans l’arrêt Cassis de Dijon, la reconnaissance mutuelle a plutôt été envisagée comme un moyen de dépasser la stricte application du principe d’égalité et la règle du traitement national qui en découle 79 En conséquence, la reconnaissance mutuelle aboutit à faire éclater l’unité du standard de protection dans l’État en l’obligeant à appliquer sur son territoire des standards venus d’ailleurs. De sorte qu’au sein même des nationaux d’un État, certains pourront bénéficier de standards plus protecteurs que d’autres concitoyens qui n’ont pas eu la chance, ou la prévoyance, de constituer une situation dans un autre État, fragilisant l’idée même de citoyenneté nationale 80. Face à ce que l’on désigne comme des « discriminations rebours » le droit européen des droits fondamentaux peut-il rester longtemps indifférent ?

1. Ce sont les juges nationaux qui ont pris l’initiative de faire jouer le principe national d’égalité afin de remédier aux « discriminations à rebours » découlant de la reconnaissance mutuelle 81 Sur son fondement, les nationaux sédentaires se voient garantir le droit de ne pas être arbitrairement défavorisés par rapport à des ressortissants d’autres États membres, ou à des nationaux en situation transnationale. L’objectif de ne pas fragmenter le principe interne d’égalité est ainsi devenu un élément déterminant pour accepter la recevabilité des renvois préjudiciels devant la Cour de justice, alors même que la situation est purement interne 82 En ce cas, le juge national justifie le renvoi au juge européen en lui demandant quelle aurait pu être la solution si le litige avait été transnational afin de ne pas défavoriser ses propres ressortissants en situation purement interne. Toutefois, pour l’instant, la Cour de justice a refusé de faire jouer le principe européen d’égalité à l’égard des discriminations à rebours, qu’elle considère échapper au champ d’application du droit de l’Union 83. Pourtant la suggestion lui en a été faite. Dans ses conclusions dans l’affaire Carbonati Apuani 84, l’Avocat général Poiares Maduro avait remarqué avec pertinence que les discriminations à rebours sont bien le produit indirect du droit de l’Union, et que par conséquent il est contestable de les considérer comme hors de son champ. Afin de ne pas non plus généraliser totalement un tel champ d’application, mais uniquement de compenser les désavantages de son caractère limité, l’Avocat général avait proposé de couvrir les situations de discriminations à rebours par le standard européen de protection des droits fondamentaux, comprenant lui-même le respect du principe d’égalité 85 Il n’a pas été suivi par la Cour de justice, probablement parce que dans l’application d’un tel principe, l’alternative offerte au juge européen est problématique dans ses deux branches.

Afin de mettre fin aux discriminations à rebours, la première solution consisterait à faire jouer le principe d’égalité afin de généraliser totalement le nouveau standard à l’ensemble des nationaux, au risque de diminuer l’autonomie politique nationale. Ainsi, par exemple, une fois qu’une filiation découlant d’une GPA commise à l’étranger a été reconnue dans un État interdisant ce type de procréation, il conviendrait d’étendre le bénéfice de la GPA au nom du principe d’égalité à tous les nationaux souhaitant y recourir. C’est finalement cette propagation du standard plus favorable à l’ensemble de l’espace unifié à laquelle a procédé la Cour suprême américaine s’agissant du mariage homosexuel dans sa décision Obergefeld 86. Cette uniformisation de la protection des droits peut s’opérer également, quoique plus rarement dans un sens restrictif, c’est-à-dire par un alignement vers le bas. Ainsi par exemple, après l’arrêt Melloni obligeant l’Espagne à reconnaître le mandat d’arrêt italien, le Tribunal constitutionnel espagnol a nivelé vers le bas le standard national de protection 87 En ce cas toutefois, une harmonisation décidée par le législateur européen semble nécessaire. La seconde solution consiste à ne pas étendre mécaniquement le standard de protection issu de la reconnaissance mutuelle à l’ensemble des situations purement internes à un État, mais à vérifier en quoi il peut exister une différence de situations, voire un motif légitime, justifiant un traitement différent. Ainsi, par exemple, le bénéfice du double nom de famille à un citoyen allemand peut se comprendre par sa situation particulière qui est d’être né dans un État où un tel patronyme est autorisé, ce qui le distingue d’un citoyen né en Allemagne. Les situations étant différentes au sein même des nationaux, un standard différent de protection se justifie. Le résultat de ce contrôle est de permettre une certaine souplesse, plus respectueuse de la marge d’appréciation nationale, mais entretenant une dualité de standard dans l’État. Même souple, un tel contrôle de l’égalité implique en tout état de cause d’admettre au moins implicitement l’idée que plus aucune situation ne soit considérée comme véritablement purement interne comme l’avait noté l’Avocat général Poiares Maduro 88

2. L’hésitation de la Cour de justice à couvrir les discriminations à rebours de son contrôle offre à la Cour européenne des droits de l’homme l’occasion de s’engouffrer dans la brèche sur le fondement du principe conventionnel de non-discrimination. Si pour l’instant tel n’est pas le cas, sa jurisprudence relative aux divergences de jurisprudence et à la sécurité juridique montre que l’existence d’une dualité de standard de protection au sein d’un même ordre juridique est problématique sous l’angle de la Convention 89 Le jour où un requérant avisé saisira la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une discrimination dans la jouissance d’un droit protégé par rapport à une personne placée dans un situation comparable mais bénéficiant d’un standard différent sur le fondement de la reconnaissance mutuelle, les choses pourraient évoluer. En effet qu’est-ce qui différencie du point de vue des droits fondamentaux un citoyen mobile d’un citoyen sédentaire ? Le principe conventionnel de non-discrimination imposerait-il d’étendre le bénéfice du standard plus protecteur au sédentaire, ou au contraire de refuser un tel bénéfice conformément à la marge nationale d’appréciation reconnue en ce domaine ? A terme, et sauf à laisser à la Cour européenne des droits de l’homme le soin exclusif d de répondre à ces questions, il semble difficile que la Cour de justice reste indifférente aux discriminations à rebours nées de la reconnaissance mutuelle. C’est pourquoi, l’extension du contrôle du respect de l’égalité aux situations découlant par ricochet de la reconnaissance mutuelle pourrait conduire à une généralisation du champ de la protection des droits fondamentaux de l’Union européenne, non seulement aux situations transnationales mais également à l’ensemble des situations internes dans lesquelles est créée une différence de standard de protection entre mobiles et sédentaires. Alors que le principe de proportionnalité pourrait s’avérer difficilement en mesure de résoudre les conflits transnationaux de droits fondamentaux, il est envisageable que le principe d’égalité assume une partie de cette fonction, donnant naissance à une forme de standard européen d’égale protection des droits fondamentaux, notamment sur le fondement de l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux. Cela impliquerait de considérer que le cadre de référence du standard démocratique ne soit plus celui d’un État, mais à celui de l’Union et de son propre équilibre de valeurs. Le sens du contrôle de fondamentalité s’en trouverait radicalement modifié : il ne s’agirait plus de préserver un certain niveau de liberté dans l’État, mais d’organiser la diversité des standards démocratiques entre États dans un ensemble pluri-démocratique complexe.

En définitive, la question du rapport entre reconnaissance mutuelle et protection des droits fondamentaux s’avère bien plus profonde qu’une simple contradiction apparente. Penser leur articulation invite à structurer l’ensemble du modèle sui generis de protection multi-niveau des droits fondamentaux dans un espace transnational, au sein duquel les principaux défis posés aux droits fondamentaux (terrorisme, migrations, nouvelles technologies, bioéthique) soulignent l’étroite interdépendance des États. A terme, il sera intéressant de constater que les inévitables désaccords sur les droits fondamentaux qui séparent les différentes démocraties composant l’Union européenne ne justifient pas de fragiliser la délicate tâche d’unification européenne, mais au contraire requièrent intrinsèquement d’être organisés à l’échelle européenne selon un système de reconnaissance mutuelle en vertu duquel le choix démocratique de l’autre est respecté comme le sien propre. Et si l’avenir de la protection européenne des droits fondamentaux était à chercher dans la reconnaissance mutuelle ?

Notes:

  1. L’origine de l’idée de reconnaissance mutuelle (ou « réciproque ») est généralement attribuée à Hegel (voy. G. W. F. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, trad. J. Hyppolite, Aubier, 1939-1941, spéc. p. 157). Le philosophe suggère par là que ce qui pousse les hommes à instituer un pouvoir organisé, ou l’État, ne relève pas d’un simple besoin matériel de sécurité ou de la crainte de mourir, mais d’un besoin plus spirituel, c’est-à-dire d’un besoin de reconnaissance de son existence en tant que personne humaine. Se penser soi-même comme tel implique de reconnaître l’égale existence de l’autre en tant que membre de cette humanité commune
  2. R. Tinière, « Confiance mutuelle et droits fondamentaux dans l’Union européenne », in Mélanges en hommage au professeur Henri Oberdorff, LGDJ, 2015, spéc. p. 75
  3. C. Hagueneau-Moizard, « Les bienfaits de la défiance mutuelle dans l’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice », in Europe(s), Droit(s) européen(s) Une passion d’universitaire, Liber Amicorum en l’honneur du professeur Vlad Constantinesco, Bruylant, 2015, pp. 223-240
  4. Conclusions de l’Avocat général Cruz Villalon du 6 juillet 2010, aff. C-306/09, I. B., spéc. point 43
  5. Conclusions de l’Avocat général Sharpston du 18 octobre 2012, aff. C-396/11, C. V. Radu, spéc. point 70
  6. I. Canor, “My Brother’s Keeper ? Horizontal solange: “An ever closer distrust among the peoples of Europe””, CMLR, 2013, vol. 2, pp. 383-421
  7. Cour EDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c/ Belgique et Grèce ; Cour EDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c/ Suisse
  8. Cour EDH, Sneersone et Kampanella c/ Italie, 12 juillet 2011 ; comp. avec CJUE, 22 décembre 2010, J. A. A. Zarraga, aff. C-491/10, EU:C:2010:828
  9. CJUE, 18 décembre 2014, avis 2/13, EU:C:2014:48, spéc. point 168. Voy. E. Dubout, « Une question de confiance : nature juridique de l’Union européenne et adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme », CDE, 2015, n° 1, pp. 73-112 et RDLF 2015, chron. n°9
  10. CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral AG c/ Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, aff. 120/78, EU:C:1979:42
  11. A. Bailleux, « Les alliances entre libre circulation et droits fondamentaux. Le “flou” au cœur de la jurisprudence communautaire », JDE, n° 160, 6/2009, pp. 157-163
  12. CJCE, 11 juillet 1985, Cinéthèque SA et autres, aff. jtes 60/84 et 61/84, EU:C:1985:329
  13. H. Labayle, «  Droit d’asile et confiance mutuelle : regard critique sur la jurisprudence européenne », CDE, 2014, n° 3, pp. 501-533
  14. V. Mitsilegas, “The Limits of Mutual Trust in Europe’s Area of Freedom, Security and Justice: From Automatic Inter-State Cooperation to the Slow Emergence of the Individual”, Yearbook of European Law, 2012, vol. 31, pp. 319-372
  15. En ce sens l’analyse de M. Möstl, CMLR, vol. 52, 2015, n° 4, spéc. p. 1148
  16. Voy. l’analyse transversale de C. Janssens, The Principle of Mutual Recognition in EU Law, OUP, 2013, spéc. Part. II, pp. 257 et s
  17. CJCE, 14 octobre 2004, Omega Spielhallen, aff. C-36/02, EU:C:2004:614
  18. CJCE, 14 février 2008, Dynamic Medien, aff. C-244/06, EU:C:2008:85, spéc. points 39 et s
  19. CJCE, 18 décembre 2007, Laval un Partneri, Aff. C-341/05, EU:C:2007:809
  20. Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, JOUE L 18/1
  21. Voy. par exemple M. Freedland and J. Prassl (eds), Viking, Laval, and Beyond, Hart, 2014, 236 p
  22. C. cass., crim., 12 mai 2010, n° 10-82.746, Bull. 86, cité par C. Hagueneau-Moizard, « Les bienfaits de la défiance mutuelle dans l’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice », in Europe(s), Droit(s) européen (s) Une passion d’universitaire, Liber Amicorum en l’honneur du professeur Vlad Constantinesco, Bruylant, 2015, spéc. pp. 227-228
  23. Conclusions de l’Avocat général Sharpston du 18 octobre 2012, aff. C-396/11, C. V. Radu, spéc. point 60
  24. Article 6 §1 a) de la directive 2014/41 du 3 avril 2014 du Parlement européen et du Conseil, concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale, JOUE L 13/1
  25. CJUE, 29 janvier 2013, C.V. Radu, aff. C-396/11, EU:C:2013:39
  26. CJUE, 26 février 2013, S. Melloni, aff. C-399/11, EU:C:2013:107
  27. Ainsi, dans son arrêt Pellegrini c/ Italie, du 20 juillet 2001, la Cour européenne des droits de l’homme a admis l’existence d’’une violation de l’article 6 de la Convention dans le chef de l’Italie au motif que les juridictions italiennes avaient accordé l’exequatur à la déclaration de nullité de son mariage prononcée par les tribunaux ecclésiastiques à l’issue d’une procédure dans laquelle ses droits de la défense avaient été méconnus
  28. Cour EDH, déc., 15 janvier 2004, Lindberg c/ Suède, dans laquelle la Coure a déclaré manifestement mal fondée une requête dirigée contre la reconnaissance en Suède d’une décision condamnant le requérant pour diffamation rendue en Norvège suite à la publication d’un reportage. Pour justifier son absence de contrôle, le juge conventionnel estime que c’était à l’encontre du premier État, en l’occurrence, la Norvège que le requérant aurait dû diriger sa requête
  29. CEDH (déc.), 18 juin 2013, Povse c/ Autriche. Les autorités autrichiennes ayant toutefois sursis à exécuter la décision italienne, le père italien à qui la garde de l’enfant avait été attribuée a, à son tour, saisi la Cour européenne des droits de l’homme et obtenu gain de cause pour cette inexécution, renforçant ainsi sur le fondement de l’article 8 CEDH l’obligation de reconnaissance mutuelle des décisions de justice posée par le droit de l’Union, voy. CEDH, 15 janvier 2015, M.A. c/ Autriche.
  30. Cour EDH, 25 février 2014, Avotins c/ Lettonie
  31. Cour EDH, déc., 7 avril 2015, Yilmaz c/ Belgique
  32. CJUE, 21 décembre 2011, N.S. et autres, aff. jtes C-411/10 et C-493/10, EU:C:2011:865, spéc. point 86
  33. Cour EDH, 4 novembre 2014, Tarakhel c/ Suisse, spéc. point 104 : « L’origine du risque encouru ne modifie en rien le niveau de protection garanti par la Convention et les obligations que celle-ci impose à l’État auteur de la mesure de renvoi. Elle ne dispense pas cet État d’examiner de manière approfondie et individualisée la situation de la personne objet de la mesure et de surseoir au renvoi au cas où le risque de traitements inhumains ou dégradants serait avéré »
  34. Cour EDH, 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni
  35. Cour EDH, 7 juillet 2015, V.M. et autres c/ Belgique.
  36. Voy. notamment le point 18 de l’opinion dissidente du juge Keller
  37. Conclusions de l’Avocat général Jacobs, des conclusions du 9 décembre 1992, aff. C‑168/91, Konstantinidis, spéc. point 46 ; conclusions de l’Avocat général Poiares Maduro, du 12 septembre 2007, Centro Europa 7, aff. C-380/05, spéc. point 21
  38. CJCE, 18 juin 1991, ERT et a., aff. C-260/89, EU:C:1991:254
  39. CJCE, 26 juin 1997, Familiapress, aff. C-368/95, EU:C:1997:325
  40. CJUE, 30 avril 2014, R. Pfleger et a., aff. C-390/12, EU:C:2014:281, spéc. point 57.
  41. CJCE, 14 octobre 2008, S. Grunkin et D.R. Paul, aff. C-353/06, EU:C:2008:559
  42. Ibid. Conclusions du 24 avril 2008, spéc. point 91
  43. Ibid. spéc. point 87 : « il est certainement dans l’intérêt de Leonhard Matthias, qui approche maintenant de son dixième anniversaire, que le nom de famille qu’il a porté pendant presque toute sa vie dans l’État membre où il réside habituellement et de manière stable soit reconnu par les autorités de l’État membre dont il a la nationalité »
  44. CJUE, 22 décembre 2010, I. Sayn-Wittgenstein, aff. C-208/09, EU:C:2010:806, spéc. point 52
  45. CJCE, 11 février 2003, H. Gözütok et K. Brügge, aff. jtes C-187/01 et C-385/01, EU:C:2003:87
  46. CJUE, 5 juin 2014, M., aff. C-998/12, EU:C:2014:1057
  47. Ibid., spéc. point 35
  48. CJCE, 4 octobre 1991, SPUC c/ S. Grogan et a., aff. 159/90, EU:C:1991:378
  49. Cour EDH, 16 décembre 2010, A., B. et C. c/ Irlande, spéc. point 239
  50. A. Iliopoulou-Penot, « Libertés de circulation et abus de droit », » in E. Dubout et A. Maitrot de La Motte (dir.), L’unité des libertés de circulation, Bruylant, 2013, pp. 185-204
  51. CJCE, 19 octobre 2004, K. C. Zhu et M. L. Chen, aff. C-200/02, EU:C:2004:639
  52. CJCE, 25 juillet 2008, B. B. Metock et a., 127/08, EU:C:2008:449, spéc. point 79
  53. CJUE, 25 octobre 2011, eDate-Advertising et O. et R. Martinez , aff. jtes C-509/09 et C-161/10, EU:C:2011:685
  54. Ibid., spéc. point 66
  55. CJUE, 26 février 2013, S. Melloni, aff. C-399/11, EU:C:2013:107, spéc. points 62 et 63
  56.  Ibid., spéc. point 124 des conclusions du 2 octobre 2012.
  57. Cour EDH, 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c/ Luxembourg.
  58. Cour EDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France et à la même date, Labassee c/ France.
  59. US Supreme Court, 26 juin 2003, Lawrence v/ Texas
  60. US Supreme Court, 26 juin 2013, United States v/ Windsor et a
  61. US Supreme Court, 26 juin 2015, Obergefeld et a. v/ Hodges
  62. Dans la Charte des droits fondamentaux certains aspects transnationaux ont été intégrés au sein même des droits garantis, reprenant pour l’essentiel les acquis antérieurs comme le droit à des prestations sociales transnationales (article 34 §2 CDFUE), le droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et municipales des citoyens européens (articles 39 et 40 CDFUE), ou encore l’extension du ne bis in idem aux condamnations prononcées sur l’ensemble du territoire de l’Union (article 50 CDFUE)
  63. G. Letsas, “Two Concepts of the Margin of Appreciation”, Oxford Journal of Legal Studies, vol. 26, 2006, n°4, pp. 705-732
  64. L. Burgorgue-Larsen, « Le jeu ambigu du consensus européen dans la détermination de la marge d’appréciation. La vision critique de Françoise Tulkens », Strasbourg Observers, 6 septembre 2012, disponible en ligne
  65. Cour EDH, 18 mars 2011, Lautsi c/ Italie, spéc. points 68 et 70
  66. CJCE, 14 octobre 2008, S. Grunkin et D.R. Paul, aff. C-353/06, EU:C:2008:559
  67. Mennesson et Labassee avaient été constituées dans un cadre purement national Cour EDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France (et à la même date, Labassee c/ France)
  68. Spéc. points 78 et s
  69. Spéc. point 96 : « La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française »
  70. L’article 53 de la Charte intitulé « Niveau de protection » prévoit que : « Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membre ». Tandis que l’article 53 de la Convention intitulé « Sauvegarde des droits de l’homme reconnus » dispose que : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention  à laquelle cette Partie contractante est partie »
  71. CJUE, 26 février 2013, S. Melloni, aff. C-399/11, EU:C:2013:107
  72. B. Liisberg, “Does the EU Charter of Fundamental Rights Threaten the Supremacy of Community Law? Article 53 of the Charter: a fountain of law or just an inkblot?”, JMWP 04/2001, disponible en ligne
  73. CJUE, 22 décembre 2010, I. Sayn-Wittgenstein, aff. C-208/09, EU:C:2010:806, spéc. point 83 : « il y a lieu d’admettre que, dans le contexte de l’histoire constitutionnelle autrichienne, la loi d’abolition de la noblesse, en tant qu’élément de l’identité nationale, peut être prise en compte lors de la mise en balance d’intérêts légitimes avec le droit de libre circulation des personnes reconnu par le droit de l’Union »
  74. Voy. L. Burgorgue-Larsen (dir.), L’identité constitutionnelle saisie par les juges en Europe, Pedone, 2011, 170 p
  75. Voy. F. Sudre (dir.), Les conflits de droits dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Nemesis, 2014, 326 p.
  76. Cour EDH, 26 novembre 2013, X. c/ Lettonie
  77. ibid., spéc. point 115
  78. Cour EDH, 1er juillet 2014, S.A.S. c/ France, spéc. point 121
  79. CJCE, 20 février 1979, Rewe-Zentral AG c/ Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, aff. 120/78, EU:C:1979:42
  80. G. Davies, “The Humiliation of the State as a Constitutional Tactic”, in F. Amtenbrink et P.A.J. Van Den Berg (eds.), The Constitutional Integrity of the European Union, Asser Press, 2010, pp. 147-174
  81. A. Iliopoulou et A. Jauréguiberry, « La première condamnation d’une discrimination à rebours », RFDA, 2009, n° 1, pp. 132-142
  82. CJUE, 22 décembre 2010, Omalet, aff. C-245/09, EU:C:2010:808
  83. CJCE, 1er avril 2008, Gouvernement de la communauté française et gouvernement wallon, aff. C-212/06, EU:C:2008:178
  84. Conclusions du 6 mai 2004, aff. C-72/03, Carbonati Apuani
  85. Ibid., spéc. point 67
  86. US Supreme Court, 26 juin 2015, Obergefeld et a. v/ Hodges
  87. Tribunal constitutionnel espagnol, 13 février 2014, Melloni, STC 26/2014
  88. Conclusions du 6 mai 2004, aff. C-72/03, préc
  89. Cour EDH, 20 octobre 2011, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c/ Turquie ; Cour EDH, 30 juillet 2015, Ferreira Santos Pardal c/ Portugal

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